La valeur travail change de visage
- Gaël Chatelain-Berry
- 10 juin
- 5 min de lecture
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Il fut un temps où l’on considérait comme une fierté de dire “je travaille 60 heures par semaine”. Une époque où plus on travaillait, plus on était vu comme impliqué, loyal, motivé. Le travail n’était pas seulement un gagne-pain, c’était un marqueur social, une source d’identité, presque un devoir moral. Mais ce temps-là est en train de passer. Discrètement. Inexorablement.
Je le constate dans mes conférences, mes discussions avec les managers, les dirigeants, les RH, mais aussi et surtout avec les salariés. Et je viens d’en avoir une confirmation claire grâce au sondage que nous avons fait avec mon partenaire Great Place To Work cette semaine sur Linkedin.
À la question : “Dans une période où le ‘travailler plus’ revient à la mode, quel serait votre choix ?”, voici les réponses des plus de 2 300 répondants :
Travailler plus et gagner plus : 28 %
Travailler moins et gagner pareil : 72 %
Oui, vous avez bien lu. Près des trois quarts des répondants privilégient le temps… au détriment du revenu. Ce résultat est loin d’être anodin. Il est le reflet d’un changement profond dans notre rapport au travail, à la réussite, à la fameuse “valeur travail” et surtout à notre bien-être.
🔄 Motivation : Un renversement de paradigme
Ce sondage, s’il avait été mené il y a dix ou vingt ans, aurait probablement donné un résultat tout autre. La norme était alors à la performance visible, à l’engagement linéaire, à l’investissement sans limite.
Mais aujourd’hui, la “valeur travail”, du point de vue des salariés, ne se mesure plus au nombre d’heures passées au bureau, ni à la quantité de mails envoyés à 23h17 ou pendant ses vacances.
Elle se mesure autrement :
À l’utilité de ce que l’on fait.
À l’équilibre que l’on réussit à préserver.
Au sens que l’on donne à son activité.
À la liberté que l’on ressent.
Le travail n’a pas perdu sa valeur. Il a changé de valeur. Il n’est plus une fin, il est un moyen. Non plus celui de s’élever uniquement socialement, mais de vivre dignement, librement, sereinement.
⏳ Le vrai luxe ? Le temps
Le Covid-19 a été un révélateur. Pour beaucoup de salariés, la période de confinement a été l’occasion d’un face-à-face inédit avec leur propre quotidien : moins de transports, plus de temps pour soi, une redécouverte des priorités. Et ce qui aurait pu être perçu comme un ralentissement angoissant est devenu, pour beaucoup, un réveil salutaire et beaucoup d'études, dont celles de Great Place to Work confirment largement ce point.
Résultat : le temps est devenu une richesse recherchée, presque un nouveau pouvoir d’achat psychologique. Ce n’est pas qu’on ne veut plus travailler. C’est qu’on refuse de sacrifier sa vie sur l’autel de la (supposée) productivité.
C’est ce que montre ce sondage : si 72 % des répondants préfèrent travailler moins pour gagner autant, ce n’est pas par fainéantise. C’est un acte conscient. Une décision de rééquilibrage. Un choix de vie.
Mais c'est aussi la profonde conscience, confirmée par la réalité de certaines entreprises, qu'en supprimant les pertes de temps comme les réunions interminables et stériles, il est possible de passer à la semaine de 4 jours à 32 heures sans pour autant baisser sa productivité globale !!!
🌱 Travailler moins ≠ s’impliquer moins
Cette évolution inquiète parfois certains managers ou dirigeants. “Mais s’ils veulent tous bosser moins, comment va-t-on faire avancer l’entreprise ?” C’est oublier une réalité essentielle : le temps de travail n’est pas proportionnel à la qualité du travail.
Un salarié qui travaille 50 heures sans sens ni reconnaissance sera bien moins efficace qu’un autre qui travaille 32 heures dans de bonnes conditions, avec clarté, autonomie et fierté de ce qu’il fait.
La motivation n’est plus une question d’heures, c’est une question de sens.
Et les entreprises qui l’ont compris ne cherchent plus à “faire travailler plus” mais à “faire mieux travailler” :
En réduisant les réunions inutiles.
En offrant de la flexibilité.
En fixant des objectifs clairs.
En valorisant la contribution plutôt que la présence.
Et pour moi qui travaille et milite sur ces sujets depuis des années... je dois bien vous avouer que cela me fait un bien fou quand je parle à des dirigeants et dirigeantes qui l'ont compris !
🧭 Une nouvelle boussole managériale
Pour les managers, ce changement de paradigme demande une vraie adaptation. Finie l’ère du “je vois qu’il est là tard, donc il est bon”. Place à une logique plus fine, plus humaine, plus exigeante aussi : accompagner chaque collaborateur vers un équilibre qui lui est propre, tout en assurant la performance collective.
Cela suppose d’accepter que certains veuillent moins d’heures, mais plus de sens. Que d’autres aspirent à des pauses dans leur carrière. Que l’envie de progression ne passe pas toujours par le management.
Cela suppose aussi, et surtout, de remettre la valeur travail au bon endroit : pas comme une injonction extérieure, mais comme une dynamique intérieure.
🤝 Vers une entreprise plus adulte
La bonne nouvelle, c’est que ce basculement peut être une opportunité. Car une entreprise qui respecte le temps de ses collaborateurs, qui valorise leur autonomie, leur implication choisie, leur besoin de cohérence… est une entreprise plus solide, plus attractive, plus moderne.
En d’autres termes : les 72 % qui veulent travailler moins ne sont pas des boulets. Ce sont des éclaireurs. Ils dessinent déjà le visage du travail de demain : plus humain, plus respectueux, plus durable.
Et d'ailleurs, cette mutation de la valeur travail n’est pas propre à la France. Dans de nombreux pays, notamment en Europe du Nord, aux États-Unis ou au Canada, l’idée qu’il faut “être vu au bureau” pour être considéré comme un bon salarié a depuis longtemps perdu de sa vigueur. Là-bas, la culture du présentéisme est bien moins ancrée. La performance est souvent mesurée à l’aune des résultats plutôt que du temps passé. Ces sociétés ont depuis longtemps intégré qu’un salarié épanoui, respecté dans son équilibre de vie, est bien plus engagé et productif. En France, nous sommes en train d’emprunter cette voie, à notre rythme, en redéfinissant peu à peu ce que signifie vraiment “bien travailler”.
En conclusion
Ce sondage n’est pas qu’un chiffre. C’est un signal. Celui d’un monde qui change. D’un rapport au travail qui évolue. D’une exigence nouvelle : celle de faire du travail un levier de vie, pas une fin en soi.
Alors, à celles et ceux qui parlent de “valeur travail” comme d’un totem à brandir… peut-être faut-il répondre ceci :La valeur travail existe toujours. Mais elle ne se crie plus, elle se construit. Et surtout, elle se choisit.
Gaël Chatelain-Berry
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